Hip hop yiddish. L’expression a de quoi intriguer. Elle sonne pourtant comme une évidence à l’écoute de Socalled. Agitateur patenté, MC allumé sous ses faux airs d’intello fluet, Josh Dolgin souffle un courant d’air frais sur la musique juive.
Dolgin est un jeune trentenaire canadien élevé au hip hop. Ceci explique cela. Le breakbeat est sa culture première, celle qui l’a nourri lorsqu’il était encore étudiant à l’université de McGill de Montréal, avant de tout laisser tomber. Il ne connaît alors rien de la musique de sa communauté, que ses parents n’ont jamais vraiment écoutée. Jusqu’à ce jour où par hasard, en fouillant dans les bacs de l’Armée du Salut à la recherche du sample qui tue, il tombe sur un vieux vinyle d’Aaron Lebedeff, chanteur populaire yiddish de l’après-guerrre. “Ce n’est pas comme si je trouvais un collector de James Brown. Mais la pochette avait de belles couleurs, le type avait une bonne tête. J’ai ramené ça à la maison. Et là j’ai pris une claque, c’était incroyable.”
D’un hasard naît une passion. Socalled accumule aujourd’hui trois mille vinyles de musique juive, des 78-tours pour la plupart, extirpés des années 20, 30 ou 40. Il anime des ateliers de musicologie sur le sujet, autant dire qu’il ne plaisante pas avec la tradition. Ou plutôt si, en permanence, mais avec un respect total:“J’essaie de faire quelque chose de nouveau et aussi une sorte de continuation. J’ai étudié l’histoire de cette musique, je veux voir où elle peut aller aujourd’hui.”
Hip hop yiddish. Avec sa manière comme innée de plaquer un chant traditionnel hassidique sur un breakbeat old school, Socalled emporte le morceau. David Krakauer, autre grand rénovateur de la tradition, le repère immédiatement lorsqu’il sort son premier opus, un EP baptisé “The Hip Hop Seder”, hommage iconoclaste à la Pessah, Pâque juive. Qui d’autre serait capable de faire rapper Killah Priest, du Wu Tang Clan, sur un verset de l’ancien Testament?
Krakauer collabore aujourd’hui régulièrement avec Socalled, un album somptueux paru l’an dernier, “Bubbemeises”, en est la preuve. Le clarinettiste apparaît aussi, avec son complice trompettiste Frank London, sur “HipHop-Khasene” (2003), autre collaboration décoiffante de Socalled avec la violoniste de Oi Va Voi Sophie Solomon. Car Socalled est comme ça, très partageur. Son nouvel album “Ghettoblaster” en est un témoignage éclatant. Enregistré dans une dizaine de studios, il fait intervenir une quarantaine de musiciens. Le chanteur yiddish Theodore Bikel, le groupe klezmer Beyond the Pale, le rappeur québécois Sans Pression, son ami Gonzalez, le pianiste lounge Irving Fields, 90 ans au compteur, l’inventeur du mélange latino-klezmer avec ses “Bagels and Bongos” dans les années 60.
Hip hop yiddish. Les deux termes paraîtront incongrus pour les tenants de la tradition. L’excellent Mickey Katz,bruiteur chez Spike Jones, le disait déjà dans sa biographie: je fais des disques trop ridicules pour les Juifs et pas assez pour les non Juifs. Ce que reprend Socalled à sa façon: “J’espère qu’on n’aura pas besoin d’être juif pour apprécier ma musique et que quand on est juif, on ne la détestera pas, on trouvera ça cool. J’essaie de faire quelque chose qui soit populaire.” Juste de la bonne musique.